Le crapaud - Nicolas Jacquette - Au groenland, la fonte des glacier découvre de grand gisements de terres rares, d'or et de pétrole

Groenland, vert, blanc, or

La quête de ressources naturelles dans nos sociétés en volonté de croissance permanente et infinie donne lieu à des scenarii surprenants. Voici que le Groenland se réveille à l’attention du monde, particulièrement des Européens et des Chinois pour ses incroyables richesses minières.

Un gros parallélépipède tout blanc sur les cartes, une île, à l’origine verte, recouverte à 80 % par la calotte glaciaire (Inlandsis), 2 millions de km2 (4 fois celle de la France) pour 57 000 habitants en tout et pour tout. Formant une province à autonomie renforcée du Danemark avec une capitale, dont le nom ferait un bon quizz dans une émission télé : Nuuk.

Survie et adaptation ont toujours forgé l’histoire de ces Inuits, en partie descendants des Vikings. Concentrés sur la bande côtière, aucun réseau routier ne relie les différents villages, pour certains très isolés – les échanges se font par ferries ou aériens, mais la situation pourrait rapidement changer, en raison des infrastructures que nécessiteront bientôt la mise en valeur du sous-sol.

Merci le changement climatique

Les majors des pétroliers y sont déjà pour le forage d’hydrocarbures, 120 sites sont en prospection, entre autres de filon aurifère. Mais surtout on y trouve probablement parmi les plus importants gisement au monde de « terres rares ».

Par une curieuse et triste ironie de notre histoire, cet Eldorado, comme la Belle au bois dormant, serait resté assoupi sans l’accélération de la fonte de la calotte glaciaire, changement climatique aidant. 97 % de la surface de l’Inlandsis commençait à dégeler à la mi-juillet, phénomène d’une rapidité jamais constatée en 30 ans d’observation de la Nasa.

Ces terres si rares

Qui parlait de terres rares, voici encore quelques années (en abrégé ETR). Connues dès la fin des années 50, les ETR regroupe 17 minéraux agglomérés dans la croûte terrestre. On les sait incontournables dans autant d’applications que la fabrication d’écrans télé, d’ordinateurs, baladeurs, d’éoliennes, de systèmes radar.

Et particulièrement dans l’industrie automobile pour les véhicules hybrides tel la Prius de Toyota et à propulsion électrique, qui ne cessera de croître. Bref, un avenir fortement prometteur à l’égal de ces produits de haute technologie, de plus en plus performants et sophistiqués.

Pékin fait les prix

Croissance moyenne globale de 10 % d’ici à 2015, soit 190 000 tonnes par an. La Chine détient pratiquent 90 % des gisements (Ces déchets industriels qui déferlent sur notre planète 16/01), mais laisse entendre qu’elle pourrait limiter ses exportations pour privilégier ses propres besoins.

Déséquilibre entre offre et demande, augmentation des prix sur le marché des matières premières, omniprésence chinoise (Pékin détermine les prix à la Bourse de Londres), accroissement des besoins, autant de facteurs qui inquiètent les gouvernements, soucieux de sécuriser leur approvisionnement autant que de le diversifier.

La course aux contrats

On comprend pourquoi l’Union européenne, qui importe 100 % des besoins pour 14 de ces éléments, guigne les filons du Groenland, à sa porte géographiquement. Mais la Chine a déjà pris pied, à travers l’achat d’une compagnie britannique, sorte de Cheval de Troie.

Dès le premier accord d’exploitation paraphé en juin par Antonio Tajani, commissaire européen en charge de l’industrie, le président Hu Jintao s’est empressé de se rendre au Danemark – des émissaires américains, canadiens, russes pourraient lui emprunter le pas. 2000 mineurs chinois seraient déjà à l’oeuvre sur place.

L’environnement, carte sensible

M. Tajani fait monter la mayonnaise. « Nous sommes en guerre avec les Chinois», reconnaît son entourage. Le différend sera mis sur la table en septembre à Bruxelles.

Entre temps, face au rouleau compresseur chinois, les Européens jouent la carte sensible de la protection de l’environnement. Car le processus de séparation des terres rares requiert de nombreuses phases de traitement chimique, concentration minérale, attaque aux acides, chloration, solvants, précipitation et utilisation d’oxydes purs.

Face aux multinationales

Une « préoccupation majeure, les risques ne sont pas les mêmes que le forage pétrolier, de plus le gouvernement groenlandais sera-t-il en mesure de réglementer suffisamment l’activité face à la pression des multinationales ? », estime le président du groupe de défense environnemental, Mikkel Myrup.

Les autorités voient les choses différemment. Pour elles, il s’agit de sortir de la seule ressource locale qu’apportent la pêche et un peu de tourisme. Et surtout mettre fin aux importantes aides que lui administre le Danemark.

Comme pour tant de pays, sortis de l’anonymat économique par la manne pétrolière, cet enrichissement inespéré, qui ne tombe pas du ciel mais surgit des profondeurs de leur terre, prend parfois l’aspect d’un cadeau empoisonné.