Le crapaud - Nicolas Jacquette - au petits soins des réserves naturelles

Aux petits soins des réserves naturelles

Les citadins généralement aiment la nature. Particulièrement celle qu’offrent les réserves naturelles authentiques ? Mais leur conservation s’avère beaucoup plus complexe qu’on le pense, particulièrement en Ile de France.

A Mériel, en lisière de la forêt de l’Isle-Adam, on ne visite plus seulement la « maison musée » de Jean Gabin. A 30 kilomètres de Paris, la ville natale du comédien offre au promeneur curieux, sur 48 hectares, un exemplaire de Réserve Naturelle Régionale (RNR), propriété de l’Agence des Espaces Verts (AEV) d’Île de France : « le Marais de Stors. »

Au creux d’un vallon serpente encore le ru du Vieux Moutier. Sur ses rives, nous dit-on, le râle d’eau, au bec effilé, « râle soir et matin, poussant des cris de porcelet qu’on égorge… ». Mais n’a-t-il pas « râlé » aussi, quand il a vu entrer dans la roselière des techniciens de l’ONF armés de tronçonneuses ? Ils venaient, ô paradoxe, couper les arbres, aulnes, bouleaux et saules, lesquels menaçaient en effet d’assécher une précieuse tourbière.

D’un marais, une forêt

Car c’est l’évolution naturelle des milieux humides : ils génèrent une végétation qui a tôt fait de faire d’un marais une forêt . Par bonheur, le chantier a eu lieu hors saison des nichées !

Ce mardi 20 juin, nous avons mis nos bottes dans les pas d’élus locaux, techniciens de l’écologie et militants associatifs, pour découvrir la biodiversité du site. Sous la conduite de l’ornithologue Jean-Luc Barailler, qui vient juste de publier un chouette petit livre sur les oiseaux et habitats de la RNR, nous irons de surprise en surprise.

Soudain, l’on s’inquiète dans le groupe : « Si on coupe l’aulne, que mangera l’hiver le tarin des aulnes, ce passereau migrateur, si friand de ses graines ? » Ainsi, les forestiers seront priés de laisser en place quelques repousses. Un peu plus loin, on les priera aussi d’étréper la tourbière, c’est-à-dire d’y peler une couche de sol, afin d’y réveiller des graines endormies.

Les moines premiers défricheurs

Au douzième siècle, dans ce vallon de Stors, s’élevait une abbaye cistercienne, où les moines pratiquent sans tarder le maraîchage et la pisciculture. Ils creusent, drainent, déboisent, bâtissent… Ils sont ainsi les premiers à perturber l’écosystème naturel fondé sur un écoulement d’eaux pluviales à travers les « sables de Cuise », sur un épais matelas d’argile.

Puis il y aura le château paré de plans d’eau et d’arbres d’ornements construit par les Princes de Conti et les bombardements par les alliés du domaine, alors occupé par les Allemands. Nous marchons donc dans une mosaïque de nature naguère blessée, puis cicatrisée ou reconstituée.

Prenez l’aride pelouse calcicole, qui accueille un trésor d’orchidées, dont l’orchis militaire, l’orchis négligé et l’étonnante ophrys mouche.

Plus de berger, des experts territoriaux

Fin juin, la floraison s’achève. « En fauchant tous les ans, on évite que la clairière se reboise », rappelle le gestionnaire Arnaud Tositti de l’AEV. Et l’on brûle le foin, de peur d’engraisser la prairie ! Hier, un berger et ses moutons auraient suffi à cette mission. Aujourd’hui il y faut des experts territoriaux !

Or « favoriser une espèce, c’est en défavoriser une autre ! » observait naguère l’écologue « trublion » Jean-Claude Génot, et l’on fige la nature en croyant la conserver : « Nous rajeunissons des écosystèmes et les maintenons en cet état, écrivait-il, sans laisser la dynamique de la nature s’exprimer. »

Se soucier de la « nature ordinaire

Son souci, c ‘est qu’on gère comme des collections d’espèces la « nature remarquable » des réserves naturelles. Et ce, sans trop se soucier de la « nature ordinaire » qui les entoure, livrée au bulldozer, au béton, au bitume, aux pesticides agricoles… Ce qui est bien le cas du Val d’Oise où nous sommes, « à sept lieues de Paris ! »

Parmi les élus, Jean-Louis Delannoy, maire UMP de Mériel, rappelle son « obsession » de ménager entre les espaces protégés des « corridors écologiques » . Mais en Val d’Oise, on veut aussi « toujours plus de lotissements, de centres commerciaux, de terrains de sport, de zones de loisirs et de cinémas multiplexes »…

Les écolos du coin déplorent, eux, ce regain de menaces. Densément peuplé et lacéré de voies rapides, le Val d’Oise compte, notent-ils dans leurs journaux, « cent fois moins de passages à faune (ou bioducs) que les Pays-Bas ! » Et « pour sauver l’emploi et la croissance», des lisières de forêts deviennent « zones d’activités. »

Reproduire à grands frais

Partout, progresse en effet la « périurbanisation » : « en 15 ans, le département n’a-t-il pas perdu 42 km2 (4200 ha) de terres agricoles, soit 3% de sa surface ? » C’est d’ailleurs le lot de toute l’Ile de France, où, faute de nature vierge, l’Agence régionale des Espaces Verts doit la reproduire à grands frais, avec force actions mécaniques.

A Flicourt (Yvelines), dans un méandre de la Seine, on restaure « le front de taille » d’une carrière abandonnée, afin que reviennent y nicher des hirondelles de rivage. Puis, avec les déblais, on aménage au sol un espace de nidification pour l’œdicnème criard, un drôle d’oiseau noctambule aux yeux surdimensionnés.

Des îlots artificiels

Sur les Buttes du Parisis, en Val d’Oise, l’Agence démolit des bâtiments pour rendre le paysage à la forêt originelle. Dans le domaine des Seiglats, une ancienne gravière en Seine-et-Marne, elle crée même un îlot artificiel pour le frai des poissons et

Je me souviens aussi d’une randonnée aux gorges de Villiers, dans l’Orne, où, toute la journée, j’ai entendu feuler les tronçonneuses et vrombir les broyeuses. Sous la férule des naturalistes du cru, un commando de cantonniers financés par le Conseil Général coupaient la pinède spontanée qui envahissait la lande.

Une création de l’homme

Puis ils broyaient la fougère aigle, haute de deux à trois mètres, afin que renaissent l’ajonc nain, la canche flexueuse et la bruyère cendrée. En réalité, sur ce coteau, la lande ensoleillée, étant une création de l’Homme, ne pouvait survivre sans lui.

En contrebas, au cœur de la forêt, s’étirait encore la langue verte d’un pré humide. À cet endroit précis, un botaniste avait signalé à la Belle Epoque une population « patrimoniale » de Drosera rossolis, désirable mangeur d’insectes. Privée de soleil, elle avait disparu. Mais, après le passage des bûcherons, on espérait bien la voir revenir dans le périmètre protégé !

Hélas, c’est peut-être le problème central de la Protection des espèces sauvages : peu raisonnables, voire carrément arriérées, elles se moquent volontiers des limites tracées par l’Homme civilisé. Mais quelle nature devra préserver ce dernier : celle d’avant l’Homme, de sa première occupation des lieux, ou d’après l’exode rural et l’invasion urbaine ?

Maurice Soutif pour “lecrapaud.fr”