Le crapaud - Jérôme Liniger - Bébés phoques entre sauvetage et survie

Bébés phoques entre sauvetage et survie

BB pourra s’en réjouir. Le long combat qu’elle a entrepris dans les années 70 s’achemine vers l’issue souhaitée. Non pas que les autorités canadiennes aient décidé de leur propre chef d’arrêter la tuerie des phoques mais, confrontées à la décision de la Russie d’interdire toutes les importations et exportations de leurs peaux, elles voient perdre ainsi le principal client de ce marché.

Les femmes russes se plaindront-elles de devoir renoncer dorénavant à ces fourrures qui conviennent si bien à leur haute taille et à leur élégance naturelle. Peut-être s’en étaient-elles déjà lassées entre temps ? On les sait très fashion victim – il n’est que de les voir faire leurs emplettes à Paris dans les boutiques des grandes griffes françaises ou italiennes en présence de maris indifférents, absorbés par leurs Smartphone, mais aux cartes de crédit facturables à l’infini.

Une Française note sur son blog l’incroyable nombre de femmes sur le pavé de Moscou portant manteau de fourrure (froid oblige d’abord), reconnaît des peaux d’opossum, de renard, de vison, de lapin, voire de panthère arctique et de léopard. Mais pas de phoque. Elle ajoute que si l’on milite pour la défense des animaux, il vaut mieux contourner le pays.

La décision russe ne surprend pas. Après avoir interdit la chasse aux phoques et ses méthodes particulièrement cruelles, il était logique que Moscou annonce vouloir cesser importation et exportation des peaux et de tous ses dérivés – décision partagée par le Belarus et le Kazakhstan, ses principaux partenaires commerciaux.

L’Union européenne en avait décidé ainsi dès 2010, avec un règlement voté au Parlement européen par une majorité écrasante de 550 députés (49 ayant voté contre, on se demande du reste sur quels arguments ?). Ces députés avaient été mis en condition par des associations diffusant, à l’entrée du siège de l’institution, des images particulièrement violentes de l’abattage de jeunes phoques sur un camion surmonté d’un écran géant.

Brigitte Bardot s’était félicitée d’une « victoire sur la barbarie », aboutissement d’un combat épuisant mené sans relâche depuis 30 ans. Personne n‘a oublié les images de la star, dans tout son éclat encore, débarquant au Groenland, se faisant filmer couchée aux côtés d’un bébé phoque. Aussi de la brutalité avec laquelle les rabatteurs poursuivaient leur proie, les abattant à coups de massue sur la tête, pour les trainer ensuite vers leurs motos-neige, les corps des jeunes animaux laissant une trace de sang insupportable sur la neige vierge.

A l’époque, Toronto, premier exportateur mondial de peaux servant aussi à fabriquer sacs, chapeaux, et gants, avait menacé de porter plainte devant l’OMC, estimant pour sa part que leur chasse se révélait « sans cruauté et durable », affirmation à l’inverse de l’opinion d’une majorité de Canadiens, très épris de sauvegarde environnementale.

Mais, à moins de trouver d’autres marchés comme la Chine, le Canada pourrait se demander, s’il convient de continuer à défendre une industrie déjà en difficulté, dont le commerce rapporte 1 million de dollars, alors qu’il la maintient à flot avec près de 2,3 millions de subventions.

D’autres questions se posent, plus urgentes. Les bébés phoques sont nombreux à mourir sur la côte est canadienne en l’absence de couverture glaciaire – situation analogue pour les ours polaires ; des chercheurs américains se demandent si, au stade actuel, le problème de leur survie n’est pas posé.

La surface de la glace de l’Atlantique nord a diminué de 6% depuis 1979 avec un taux dramatique de mortalité des jeunes générations. Observées par satellite, des zones de reproduction montrent que si les populations ont entamé un processus d’adaptation à la fonte précoce en réduisant la période d’allaitement, il n’est pas dit qu’elles sauront réagir avec succès à la disparition graduelle des glaces, si elle devait se poursuivre.

Chaque hiver, des centaines de milliers de phoques (pinnipèdes) migrent du nord-ouest vers la côte Est pour mettre bas. Chaque femelle donne naissance à un petit et à un seul, lesquels sont rapidement sevrés, commencent à muer et perdent leur magnifique fourrure blanche. C’est à ce stade que s’ouvre la chasse.

Les phoques adultes certes pose un vrai problème. Le troupeau s’élève à plusieurs millions de bêtes, lesquels sont de grands prédateurs, perturbent la pêche avec la tonne métrique de poissons qu’ils engorgent, se reproduisent par milliers et causent d’énormes dommages à l’environnement.

Cependant migration et naissance donnent lieu à un spectacle exceptionnel, une merveille de la nature, qui inspire le respect et devait être source de fierté pour les Canadiens, remarque le président du Fonds international pour la Protection des animaux, F.O’Reagan. Notre opposition met le doigt sur un conflit qui concerne chacun de nous, entre la valeur économique d’une peau destinée éventuellement à un vêtement et la protection de la faune sauvage pour des générations futures ».